À Écuelles, les habitants se mobilisent pour les réfugiés

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© Aurélien Accart

La pluie seine-et-marnaise est torrentielle alors qu’on s’enfonce, essuie-glaces en furie, dans la forêt de Fontainebleau. Notre direction ? Le village d’Écuelles, récemment rattaché à la fameuse Moret-sur-Loing pour former la nouvelle commune d’Orvanne. C’est ici qu’ont été envoyés une vingtaine de réfugiés originaires de l’Afrique de l’Est en attente de la régularisation de leurs papiers.

Laissés à l’abandon dans le Formule 1 du village, ils ont fait l’objet ces derniers mois de la mobilisation spontanée de près de 80 habitants. PÉNIBLES en profite pour délivrer un témoignage positif, petite goutte d’espoir dans l’océan pour le moins dramatique de cette crise sans précédent.

Crise des réfugiés en Europe : le cas érythréen

Petit pays de 6,5 millions d’habitants, l’Érythrée est dirigée d’une main de fer par Essayas Afeworki, père de l’indépendance du pays vis-à-vis de l’Éthiopie en 1993. L’indépendance n’a pas apporté la liberté aux Érythréens. Au contraire, ils vivent aujourd’hui comme en prison dans ce petit pays d’Afrique de l’Est que Le Monde avait qualifié de « Corée du Nord de l’Afrique ». Paranoïaque et obsédé par la force militaire de son pays, Afeworki a fait de sa population une immense armée, assujettie à un service militaire à durée indéterminée. Torture, non-respect des droits de l’Homme, guerre avec l’Ethiopie, autant de raisons qui ont amené près de 1,5 millions d’Érythréens à quitter leur pays en 2000.

Selon l’ONU, 4000 Érythréens par mois ont fui leur pays en 2015. Ils forment le deuxième contingent de réfugiés en Europe. S’ils fuient une situation terrible, la route de l’Europe est également un vrai calvaire pour cette population qui fait l’objet de torture et est victime d’un réseau de trafiquants d’organes dans la péninsule du Sinaï et en Lybie. Pour plus d’informations sur cette situation tragique dont sont victimes les réfugiés ainsi que leurs familles restées au pays, nous vous renvoyons vers le film documentaire de Delphine Deloget et de Cécile Allegra, Voyage en Barbarie et le grand format du Monde.fr.

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© Reuters

Écuelles, petit îlot d’entraide et de mobilisation  

Le 23 octobre 2015, 800 réfugiés qui logeaient au lycée Jean-Quarté à Place des fêtes à Paris sont relogés par le Samu social de Paris. Parmi eux, 22 réfugiés originaires d’Afrique de l’Est et majoritairement d’Érythrée sont réorientés vers la Seine-et-Marne, entre Melun et Ecuelles. Une semaine plus tard, ils sont logés tous ensemble dans l’hôtel Formule 1 d’Ecuelles.

Rien n’est alors prévu pour eux : s’ils ont la « chance » d’être logés sous un toit décent, ils se trouvent « échoués » là sans argent ni même le moindre matériel pour cuisiner. Rien n’est prévu non plus en matière de transport pour les accompagner à la Préfecture de Melun afin d’effectuer les premières étapes de leur demande d’asile.

C’est la gérante de l’hôtel qui donne l’alerte et prévient la mairie de la présence et de la situation des réfugiés en question, totalement livrés à eux-mêmes. C’est là que, à l’initiative de la femme du maire d’Écuelles, les villageois se mobilisent spontanément pour apporter de l’aide à ces 22 nouveaux arrivants.

Près de 80 villageois s’organisent en groupes, selon leur temps et leurs compétences : un groupe pour la nourriture, un groupe pour le linge, un groupe qui mobilise les associations pour récolter des vêtements, un groupe d’enseignement du français, un groupe pour accompagner les réfugiés à l’hôpital ou à la Croix Rouge, où ils doivent se rendre tous les jours afin de récupérer leurs éventuels courriers. Le problème étant qu’ils ne sont pas mis au courant quand ils en reçoivent.

Sylvain et Fabienne, deux bénévoles avec qui nous avons échangé, nous racontent notamment à quel point ces tâches administratives sont laborieuses, voire même impossibles pour un réfugié qui ne serait pas accompagné d’un Français. A la préfecture de Melun par exemple, les réfugiés demandeurs d’asile font parfois la queue depuis la veille au soir et supportent les bousculades et des conditions déplorables pour espérer être reçus les premiers le matin. Et on imagine très bien à quel point, même en étant reçu, les visites administratives et les consignes obtenues peuvent paraître obscures à une personne qui n’est pas au fait des coutumes administratives françaises…

Des anecdotes plus sympathiques nous sont rapportées néanmoins, car cette mobilisation à Ecuelles est avant tout une aventure humaine, une rencontre a priori improbable dans un village de la Seine-et-Marne et qui donne des résultats inattendus. Sylvain évoque par exemple les soirées de Noël et du Nouvel an, fêtées dans la paroisse de Moret-sur-Loing. « On dansait sur de la musique arabe dans une paroisse catholique ! », ajoute Fabienne, qui rappelle par ailleurs que cette mobilisation spontanée est d’autant plus symbolique qu’elle a lieu dans un village qui a voté majoritairement Front National aux dernières élections régionales

« Cette aide pour nous, c’est aussi important que les papiers« 

Sortis de leur cours de français vers midi, les cahiers sous le bras, deux réfugiés acceptent de s’entretenir avec nous. Témoigner de leur expérience leur est difficile. L’un d’eux nous déclare : « On veut effacer le passé » . Aussi, révéler leur identité peut présenter des risques pour leurs familles restées en Érythrée. C’est pourquoi on a préféré discuter de la France, de leur ressenti sur leur expérience à Ecuelles, de leurs perspectives pour la suite.

La route vers la France n’a bien sûr pas été facile : Soudan, Libye, Italie… à chaque fois, ils font face à une grande ignorance de la part des gens. « Chez nous, personne ne se soucie de nous, personne ne nous demande si ça va. Au Soudan, en Libye et en Italie non plus« , détaille l’un d’eux, ajoutant qu’en France au contraire, « les gens sont plus humains« .

On avoue avoir souri à cette dernière déclaration, quand on sait les débats qu’a suscité la vague d’immigrés en France, du côté de l’extrême droite notamment. Quand on pointe le doigt sur la situation des migrants dans la jungle de Calais et sur les réactions d’une certaine partie des Français, ils précisent que leur vie à Place des Fêtes les trois premiers mois de son arrivée était bien moins joyeuse, et insistent sur la chance qu’ils ont eue d’atterrir à Écuelles un peu par hasard, parce qu’ils étaient au bon endroit au bon moment. Mais l’aide qu’ils ont reçue à Écuelles, « pour nous, c’est aussi important que les papiers« .

Cet accueil les a convaincus que leur destination finale serait la France. Pour obtenir l’asile en France, ils sont donc aidés par les bénévoles dans leurs démarches auprès de l’Office français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (Ofpra). Au moment où on discute avec eux, ils sont en passe d’obtenir leur « statut », ce qui leur permettra de toucher un petit revenu et, surtout, les autorisera à travailler.

La porte de leur passé fermée, ils sont bien déterminés à aller de l’avant. Les cours de français du jeudi soir et du samedi matin permettent de construire les bases d’une nouvelle vie en France. Quand on évoque notre goût pour les doro wot (mets dégustés dans la région ), on se laisse rêver ensemble de l’ouverture d’un restaurant érythréen à Paris. Qui sait…

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