Joséphine Chevry, sculptrice de la Grande Motte à Taiwan

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Par un beau jour ensoleillé, PÉNIBLES s’est rendu chez Joséphine Chevry, dans sa maison-atelier. Elle nous a raconté dans la douce lumière son parcours, de la Grande Motte, commune française de la côte sud, à Taiwan. De sa voix un peu rauque de fumée, elle est revenue avec beaucoup d’émotion et de poésie sur ses débuts et son premier grand projet, hier critiqué, aujourd’hui encensé.

Mais avant de vous en dévoiler plus, voici un bref aperçu de sa vie passionnante.

Joséphine Chevry est née à la fin des années 1930, d’une mère ingénieur agronome et d’un père pilote d’essai. Comme elle dit, déjà, c’est un mélange qui donne de drôles de résultats. Son père meurt pendant la guerre, son avion abattu. Sa mère se démène pour lui offrir une bonne éducation et la soutenir dans la voie de son choix. Cette voie, ce sont les arts, et surtout la sculpture, qu’elle apprend aux Beaux-Arts dans l’atelier de Marcel Gimond. Et bien qu’elle soit l’une des rares filles dans ce domaine, qu’elle ait son premier fils à 20 ans et divorce à 22, et qu’elle doive se chauffer à l’aide d’emballages de médicaments, elle s’en sort et devient une artiste reconnue.

1er prix de Rome de sculpture à 30 ans (l’Oscar de l’art en quelque sorte), elle vit de sa passion en créant des décors de films (Les Aventuriers de Robert Enrico), des sculptures et paysages minéraux pour les écoles, les hôpitaux, les espaces publics… et plus tard en transmettant sa passion de l’art avec l’enseignement. 

« La sculpture que je fais, ce n’est pas de la sculpture d’atelier. Je voulais travailler pour l’art public. Faire descendre les sculptures de leur socle et qu’on puisse les installer dans la vie courante, qu’on puisse poser sa bicyclette dessus… qu’on puisse la toucher. Ma démarche ça a été ça, de descendre la sculpture de son socle. »

PÉNIBLES trouve cette vision très belle

Le projet de la Grande Motte

La Grande Motte a été le 1er grand projet de Joséphine Chevry. Un vaste programme d’aménagement de cette zone marécageuse au bord de la Méditerranée avait été lancé au début des années 60, pour insuffler un renouveau à cette côte laissée de côté et retenir les touristes attirés par l’Espagne voisine.

« Toute cette côte-là était sauvage dans les deux sens, le bon et le mauvais. »

Jean Balladur a été l’architecte en charge de cette transformation. Dédaignant les clichés de l’époque, il décide de donner leur chance à un groupe d’artistes qui ne s’étaient pas encore fait un nom. Parmi eux, Joséphine Chevry, fraîchement sortie des Beaux-Arts et des idées plein la tête.

« Ce qu’il y avait de vraiment extraordinaire, c’est que Jean a fait confiance à des artistes en herbe et, ça, ça nous a fait grandir d’un seul coup parce qu’on avait les moyens de pouvoir mettre en œuvre ce qui nous animait, ce qui nous paraissait impossible. »

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© lagrandemotte-architecture.com

La Grande Motte vue du ciel… où est la mer ?

Tandis qu’il crée des immeubles aux silhouettes inspirées des collines environnantes, Joséphine se charge de donner une nouvelle vie aux dunes qui se dégradaient. Avec un architecte paysagiste, elle a voulu aussi bien protéger ces espaces naturels que les transformer en lieux de convivialité. Pour que les gens viennent sur ces plages, elle a dessiné un jeu de formes en béton sur lesquelles pique-niquer, derrière lesquelles se cacher des vents de sable, entre lesquelles courir et s’amuser à écouter les sons du souffle marin…

« A l’époque c’était vraiment le début pour moi, et j’ai considéré cette plage comme un enfant qui dessine sur le sable mouillé, que c’était ma première page d’écriture. Donc il y avait les bâtons, le O et les jambages. Je n’avais pas bien réalisé ça quand je l’ai fait, c’est comme une écriture sur la plage. »

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© Joséphine Chevry

Une bonne raison d’aller à la plage !

Et de ramener le pique-nique !

La reconnaissance, des décennies après

Mais à l’époque, le projet est mal accueilli. Les critiques à la plume acérée décrient cette nouvelle station balnéaire, qui va à l’encontre des habitudes en démocratisant ces lieux jusqu’alors dédiés aux plus privilégiés. Comme le reste des installations, la sculpture de Joséphine est calomniée.

« Pour beaucoup, ce que je fais, ce n’est pas de la sculpture, j’ai été pervertie. »

Et pourtant ! Le vent a bien tourné désormais. Les bâtisses de Jean Balladur sont labellisées « Patrimoine du XXème siècle » depuis 2010. Les sculptures de Joséphine, que le sable avait en partie ensevelies (signe que l’objectif a été atteint), sont nettoyées pour trôner de nouveau sur la plage. Les associations la demandent comme marraine. Les articles et les interviews se multiplient dans les médias, les revues d’architectures et les journaux locaux. C’est la reconnaissance, cinquante ans plus tard.

« On ne pensait pas du tout que des décennies après on serait aussi reconnus, qu’on nous flatterait, qu’on nous brosserait l’échine. »

Comme quoi, il n’y a que les idiots qui ne changent pas d’avis. Ils auraient juste pu mettre moins longtemps.

La suite, Taiwan et des projets par milliers

Et en cinquante ans, il y a eu le temps de s’en passer des choses ! Pourtant, les années qui passent n’empêchent pas de retourner à ses premières amours. C’est ainsi que Joséphine, dans son éternelle jeunesse, retravaille l’idée du jambage pour une sculpture à Taipei en 2014, au moment même où la Grande Motte gagne ses lettres de noblesse.

« Et ce jambage que j’ai fait à Taiwan m’a renvoyée à la Grande Motte et tout à coup j’ai réalisé que j’avais écrit le mot MOI : le bâton le I, le rond le O et les jambages forment le M. »

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© Joséphine Chevry

Ce que ne montre pas cette image, c’est que la sculpture a changé de couleur depuis…

Pour son oeuvre à Taiwan, elle n’a cependant gardé que le M. Et avec humour, elle nous raconte son nouvel amour :

« J’aime Taiwan. J’ai trouvé une famille là-bas, j’y ai vraiment des amis de cœur. Il n’y a pas du tout de choc des civilisations. Tu te rends compte que, l’humain, il est partout le même. Il rit, il pleure, il est contemplatif, il est admiratif. L’humain, il trimballe toujours le même vocabulaire, les mêmes sensations, les mêmes émotions. Sur le plan de l’humain pur, c’est vraiment la même chose. »

Et avec elle, on s’émerveille. De cette découverte perpétuelle, Joséphine tire une énergie qui dépasse les carcans des idées reçues. Des projets, elle en a toujours plus, à Taiwan, en France, chez elle, pour ses anciens élèves… On pourrait l’écouter des heures comme ça. Mais le téléphone sonne et nous rappelle qu’il est temps de poser la dernière question :

Celle que tout le monde attend

Mais Joséphine, en quoi es-tu PÉNIBLES ?

La réponse fuse :

« J’ai trop d’énergie ! Toujours en effervescence ! En un mot « fatigante ». »

Et nous, chez PÉNIBLES, on sait que c’est de la bonne fatigue !

Car il faut le dire, nous aussi nous sommes en effervescence.

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Marion

4 Comments

  1. Un article à la hauteur de l’artiste: grandiose, poétique et touchant.

    Continuez de nous abreuver de Cultures les Pénibles 😀

  2. C’est bien Joséphine, dynamique et joyeuse, une générosité créatrice sans limite et l’amour des gens.
    Merci pour ce joli article.

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