Thais Cimino, ou le combat contre les tabous liés à la maternité

Thais et sa fille Vida à Bayonne, le 12 octobre 2015.

Thais et sa fille Vida à Bayonne, le 12 octobre 2015.

Thais et sa fille Vida à Bayonne, le 12 octobre 2015. 

En mai 2015, Thais Cimino crée un blog pour traiter de tous les sujets « négatifs » liés à la maternité : dépression post-natale, fausses-couches, violences obstétriques, autant de sujets dont on entend finalement peu parler et qui relèvent même du tabou, en France et ailleurs. Six mois plus tard, Temos que falar sobre isso (il faut qu’on en parle) compte déjà plus de 13 000 lecteurs, elle est appuyée par des psychologues et des médecins qui rédigent pour elle, et elle est sur le point de représenter cette cause à l’ONU. Ce parcours incroyable a donné à PÉNIBLES la très forte envie de la rencontrer.

C’est gentiment que cette Brésilienne souriante nous accueille dans son appartement bayonnais, avec sa fille de bientôt deux ans, Vida. Le thé est servi, la discussion commence.

Un projet né d’une expérience personnelle

Thais Cimino a 31 ans. Cela fait maintenant dix ans qu’elle a quitté son pays natal. Si elle est aujourd’hui installée à Bayonne avec son mari et sa fille, elle n’en est pas moins une globe-trotteuse : après sept ans passés à Barcelone, elle part pour la Thaïlande, où elle rencontre celui qui partagera sa vie, puis en Indonésie et en Australie. C’est quand elle tombe enceinte qu’elle décide de rentrer en France avec son mari. Et c’est là que l’histoire commence…

La décision de vivre sa grossesse et son accouchement en France a tenu au fait qu’au Brésil les violences subies par les femmes lors de l’accouchement sont malheureusement courantes. En France, elle savait que tout se passerait bien, bien que vivre ce moment loin de sa famille ait constitué un choix difficile.

Mais dès la naissance de sa fille, l’allaitement lui cause des douleurs au sein. Elle se rend plusieurs fois aux urgences pour s’entendre dire que tout est normal, jusqu’à la fois de trop où on lui annonce qu’elle a un abcès au sein, qu’elle doit subir une opération et rester une semaine à l’hôpital. Bien qu’elle se sentît déjà triste depuis la naissance de sa fille, loin de sa famille et avec une belle-famille absente, ce séjour à l’hôpital lui a porté le coup fatal. Son mari travaillant toute la journée, elle se sent alors absolument déprimée, seule chez elle avec son bébé.

L’intérêt de briser le silence autour des tabous liés à la maternité

« Je venais d’avoir un bébé, c’était censé être la meilleure chose qui puisse m’arriver, et moi j’étais triste. J’ai cru que j’étais folle ! ». Elle souligne à quel point les sentiments de honte et de culpabilité prévalent quand on vit ainsi son nouveau statut de mère. Être triste semble tout simplement anormal. La réaction classique est donc de se renfermer sur soi, de se réfugier dans ses angoisses, et, par conséquent, de culpabiliser toujours plus.

Thais raconte que son déclic a eu lieu à la lecture d’un article sur la dépression post-natale dans un magazine anglophone. Elle s’est rendue compte que bien que beaucoup de femmes y soient confrontées, elles n’ont souvent personne à qui en parler, et n’osent même pas l’évoquer, par peur de choquer l’entourage. Or, parler de ce problème est certainement la meilleure solution pour prendre du recul et mieux l’appréhender. Idem pour les fausses-couches ou d’autres troubles psychiques qui peuvent survenir, pendant et après la grossesse. Idem pour les pères également, qui ne sont pas épargnés par la dépression post-natale, chose dont on ne parle quasiment jamais ! Une femme comprend sa grossesse : c’est en elle ; le bébé est à elle. Pour l’homme, ça ne devient réel qu’après l’accouchement et ça peut être la panique : « Ok, il est là. Qu’est-ce que je fais ? ».

Elle décide donc, en mai 2015, de créer un espace pour les femmes (et les hommes), dans lequel elles peuvent parler de toutes leurs difficultés sans que personne ne les juge ou ne les accuse. Et là, l’engouement que connaît son blog dépasse toutes ses attentes : elle dépasse rapidement la barre des 10 000 lecteurs et est même abordée par des spécialistes qui lui offrent leur plume pour appuyer ces sujets par une approche scientifique.

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Gustav Klimt, Les Trois Âges de la Femme

Le cas particulier du Brésil : violences obstétriques et manque d’information

Puisque la population de lecteurs de Temos que falar sobre isso est principalement lusophone, le Brésil est à l’honneur. Parmi les multiples témoignages anonymes qui fondent ce blog figure le thème des violences obstétriques. Si le sujet existe également en France, il est prévalent au Brésil, où les soins coûtent très cher et où par conséquent les femmes défavorisées, forcées d’accoucher dans les hôpitaux publics, subissent des méthodes au rabais. D’abord, 86% des accouchements se font par césarienne aujourd’hui au Brésil, que les femmes concernées l’aient décidé ou non (contre 20% en France – chiffres de 2010). Les médecins décident pour les femmes quand et comment elles accoucheront.

Aussi, les médecins utilisent souvent des méthodes pas nécessaires, et surtout sans consultation préalable : le découpage du périnée, pratiqué également en France dans des cas précis, est quasiment systématique au Brésil, sans que cela soit indispensable. La manoeuvre Kristeller, qui consiste à faire venir l’enfant au monde en appuyant fortement sur le fond utérin, est également privilégiée. De même pour les perfusions d’ocytocine synthétique visant à accélérer les contractions. S’il s’agit d’une hormone naturelle produite pendant l’accouchement, son injection artificielle est très douloureuse et rend la péridurale quasiment indispensable, même si la femme souhaitait s’en passer.

Si des voix s’élèvent depuis 3 ou 4 ans contre ces pratiques, le statut des médecins a longtemps retardé cette remise en cause. Le manque d’accès à l’information, en particulier dans les milieux défavorisés, fait que les femmes délèguent aux médecins un contrôle total sur leur propre corps, sans jamais imaginer être en mesure de décider pour elles-mêmes. « En fait, les modalités de leur accouchement ne sont jamais discutées, alors les problèmes post-partum… n’en parlons pas ! » Le but du combat naissant pour l’émancipation des femmes au Brésil est donc de laisser le choix aux femmes quant à leur accouchement.

Paul Gauguin, Maternité

Paul Gauguin, Maternité

Temos que falar sobre isso, catalyseur de l’émancipation des femmes au Brésil ?

Parler de ses problèmes, c’est déjà leur apporter une réponse. Le blog de Thais Cimino aide des femmes concernées à se rendre compte que leurs problèmes sont normaux. « Ma première intention, c’était ça : créer un espace pour crever l’abcès ».

Mais l’aventure a rapidement pris des dimensions supérieures : d’abord, Thais est contactée par des psychologues portugais et brésiliens qui se proposent d’écrire pour elle afin de « vulgariser » ces sujets parfois techniques et atteindre ainsi tout le monde : « On ne sait jamais qui nous lit, donc on fait en sorte d’adopter un langage simple, facile à comprendre ». Les populations défavorisées, en revanche, ont rarement accès à internet au Brésil. Elle envisage donc de créer des centres d’accompagnement à l’échelle locale.

Ce projet a très vite été rendu possible puisque Thais a été contactée, deux mois seulement après le lancement de son site, par une porte-parole de la branche ONU Women pour mettre en place avec elle un programme au Brésil. Seront ainsi créés des espaces, partout au Brésil, destinés à accueillir les futurs parents et à faciliter leur rencontre avec des psychologues et des médecins pour aborder les sujets liés à la grossesse, l’accouchement et l’après-accouchement. En parallèle, elle souhaite organiser des formations au sein des hôpitaux universitaires, pour s’adresser aux jeunes médecins et faire changer les méthodes à la source. À ce jour, elle a déjà signé un contrat avec une université de Sao Paolo.

Le but à terme est d’arriver à influencer le gouvernement et la législation brésilienne.

On fait un bisou à Thais, à Vida, et on quitte leur cocon bayonnais. Avec déjà 20 personnes qui la représentent partout dans le monde, il semblerait qu’on n’ait pas fini d’entendre parler de Thais Cimino.

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Manuela

5 Comments

  1. Ce qui se passe au Brésil est choquant! Ce n’est plus de la médecine à mes yeux, plutôt de la boucherie. Mais bon, il semblerait qu’en France aussi, il y aurait des progrès à faire (au vu du témoignage de Thais).
    Sinon, c’est un beau « combat » que mène Thais sur ce sujet, surtout qu’il concerne à peu près 100% de la population (sauf les Child-free).

  2. Ce projet de Thais Cimino est non seulement intéressant (son blogue), mais essentiel. On le voit par la réponse qu’il provoque ! J’aimerais apporter une petite rectification cependant au sujet du taux de césariennes brésilien (à titre d’auteure d’un livre sur l’accouchement vaginal après césarienne, maintenant publié au Brésil sous le titre : Parto Normal – Mesmo após uma cesárea, Le taux de césariennes au Brésil est de 55 % (moyenne des établissements publics et privés), et non 86 % (ce qui pourrait être la moyenne des établissements privés).

  3. Un très bel article, sur un sujet qui reste encore tabou dans beaucoup trop d’endroits….

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